L’Intelligence dans les bâtiments
Le domaine du Bâtiment Intelligent concerne toute forme d’usage des technologies de l’information et de la communication (TIC) pour améliorer la qualité des bâtis et la qualité de vie de leurs occupants : gestion de l’énergie, maintenance, nettoyage, sécurité, santé, autonomie des personnes âgées ou handicapées, vie de la famille, loisirs, activités professionnelles, logistique et bien d’autres exemples.
Dans ce document, nous examinons les facteurs qui ont bloqué l’émergence de la domotique et comment l’informatique ambiante offre de nouvelles opportunités en ce domaine. Nous esquissons une liste de défis et un programme rassemblant les forces locales pour former un pôle de recherche en Bâtiment Intelligent.
Avant la domotique
Notre habitat a constamment évolué au cours des siècles, subissant parfois des transformations majeures au gré des progrès technologiques. L’introduction populaire de l’électricité dans les habitats au début du 20ième siècle a déclenché une véritable révolution. L’éclairage électrique suivi d’une multitude d’appareils électroménagers ont envahi progressivement les habitats, bouleversant profondément le style et la qualité de vie des citoyens des pays modernes. Il y a une vingtaine d’années, la domotique se présentait comme une révolution du même ordre que l’électricité sans toutefois rencontrer le succès escompté.
Définition de la domotique
Wikipédia définit la domotique comme « l’ensemble des services offerts aux occupants d’un habitat fondé sur l’intégration des technologies d’automatisation ». Le marché traditionnel de la domotique concerne l’usage de l’automatisation pour la commande des systèmes de chauffage, des lumières et des stores, fondé principalement sur des systèmes à horloge. Nous trouvons aujourd’hui des produits domotiques dans les catalogues des groupes comme Legrand, Hager, Schneider et Delta Dore. Ces produits s’appuient généralement sur l’usage d’une logique d’automates câblés dans les panneaux des disjoncteurs qu’installent les électriciens qualifiés.
Facteurs bloquant de la domotique
La domotique n’a pas bouleversé notre quotidien pour plusieurs raisons. Tout d’abord, les produits de domotique sont souvent coûteux, difficiles à mettre en place et à adapter aux goûts des habitants. La fiabilité constitue un second facteur bloquant : on ne compte pas les cas de dysfonctionnement ayant entraîné des désagréments aux résidents. Enfin, l’expérience montre que la plupart des services proposés n’est pas suffisamment attractive pour inciter les occupants à réaménager leur habitat. Nous pensons pourtant que nous sommes à la veille d’une nouvelle révolution dans l’habitat liée aux concepts issus, entre autres, de la domotique.
Vers une nouvelle révolution
L’introduction massive de l’informatique embarquée et de la communication sans fils dans les objets du quotidien laisse envisager une rupture majeure, comparable dans son échelle à celle de l’électricité. Cette révolution, anticipée dans les imaginations populaires par certains livres et films de science fiction, est préparée par de nombreuses entreprises. Néanmoins, les progrès TIC des dernières décennies ont eu peu d’impact sur les offres commerciales de ces grands groupes. L’une des difficultés principales de la domotique d’aujourd’hui tient à ses fondements sur une logique d’automates. Nous proposons l’exploration d’une approche alternative fondée sur l’informatique ambiante.
L’informatique ambiante : une autre approche pour la domotique
Technolgies facilitante
Plusieurs évolutions scientifiques et technologiques majeures sont à même de fournir un nouvel avenir à la domotique. Nous pouvons en citer quatre qui nous semblent particulièrement importantes :
La micro-électronique
La poursuite de la décroissance exponentielle des coûts de calcul, décrite par la loi de Moore, reste le phénomène dominant propulsant l’introduction de l’informatique et de la communication dans toutes les facettes de la vie humaine. Grâce à la micro-électronique, il est devenu possible d’embarquer des capteurs, des actionneurs ainsi que des moyens de communication et de traitement dans les objets de tous les jours, et ceci à faible coût.
La communication numérique haute fréquence
La technologie du numérique à haute fréquence arrive dans l’habitat d’une manière massive avec le "Triple play" regroupant la communication téléphonique, la télévision et l’accès à l’Internet par Wifi (IEEE 802.11) et une unique connexion par l’ADSL. Des fournisseurs imaginent déjà d’autres services sur le même modèle. La communication numérique à haute fréquence utilisant CPL, Wifi ou d’autres protocoles, offre des canaux à bas prix pour l’interconnexion des capteurs et des actionneurs sans les coûts et la rigidité des installations par câbles.
La technologie de l’Internet
Il est devenu possible d’embarquer un petit serveur http et d’affecter un numéro IP unique à chaque dispositif. Bien que cette technologie soit banale pour les informaticiens, son application à une échelle massive à l’intérieur d’un bâtiment (et au-delà), offre des opportunités radicalement nouvelles fondées sur la composition opportuniste de services.
Les technologies de la cognition
Dans la dernière décennie, la convergence entre l’informatique, les neurosciences et les sciences cognitives a favorisé l’émergence d’une science des systèmes cognitifs. Les systèmes cognitifs sont des systèmes artificiels dotés de capacités de perception, d’action, d’apprentissage, d’adaptation et de raisonnement. Les systèmes cognitifs sont ancrés dans les boucles sensori-motrices augmentées de capacités cognitives. Leur conception est inspirée des modèles et théories des systèmes biologiques adaptés aux technologies de l’informatique.
La convergence des progrès en micro-électronique, communication numérique, technologies de l’Internet et de la cognition (aidé par bien d’autres disciplines), nous permettent d’entrevoir le bâtiment sous un autre angle.
Le bâtiment comme fournisseur de services
Nous voyons le bâtiment comme une fédération dynamique de dispositifs dotés d’autonomie fondée sur leurs propres capacités de Perception, d’Action, de Communication et de Traitement (PACT). L’existence de fonctions de communication entre dispositifs PACT, complétée par d’autres fonctions numériques, permet à ces dispositifs de se fédérer et/ou d’être fédérés dynamiquement pour offrir de nouveaux services aux habitants.
Notre vision permet de reconsidérer la notion de service fourni par un bâtiment. On peut penser que les services qui, jusqu’alors, résultaient d’une interaction explicite entre un résident et un dispositif seront remplacés par des services fondés sur un ensemble de dispositifs capables de percevoir et d’agir de façon autonome sur l’environnement. Ces services utiliseront la notion de contexte, c’est-à-dire des espaces d’informations structurés et dynamiques qui leur permettront de comprendre leur environnement, d’agir de façon pertinente et d’interagir de manière adaptée avec les personnes. Par ailleurs, ces services s’exécuteront dans des environnements très dynamiques où les objectifs des occupants ainsi que les ressources de calcul, d’interaction et les moyens de communication évolueront fortement de façon imprévisible.
Quelques domaines d’application
L’introduction de dispositifs PACT rend possible la création de services dans plusieurs domaines comme la sécurité (protection des personnes et des biens), la santé, le nettoyage, la maintenance, la logistique, les loisirs, la communication, la gestion d’énergie, la vie de la famille, les bâtiments de commerce, les bureaux intelligents, et l’autonomie des personnes fragiles. Nous illustrons notre réflexion sur certains d’entre eux choisis pour mettre en évidence les capacités et lacunes de l’état de l’art scientifique actuel.
Gestion d’énergie
Un service de gestion d’énergie aura comme objectif d’assurer une utilisation efficace de l’énergie dédiée à la qualité de l’environnement interne et externe du bâtiment. La qualité de l’environnement peut inclure le réglage de la température, le contrôle de la lumière, la circulation d’air, et même l’environnement sonore. Un tel système est une forme de boucle sensori-motrice composée de quatre éléments : capteurs, actionneurs, commande et interface utilisateur. Les capteurs permettent de mesurer la température, les niveaux lumineux et sonore, mais aussi de détecter la présence humaine, animale ou celle d’autres dispositifs. L’un des problèmes sensoriels est de savoir déterminer dynamiquement la localisation des capteurs de façon à associer les valeurs fournies par les capteurs à un emplacement donné du bâtiment. (N’oublions pas que les capteurs peuvent être portés par un dispositif lui-même mobile ou une entité biologique mobile.) Pour les actionneurs, il s’agit d’associer les endroits dans le bâtiment affectés par une action ainsi que l’ampleur de cet effet. Les actionneurs peuvent inclure les commandes de chauffage ou de refroidissement, la motricité des stores, volets et autres moyens passifs de réglage de température, la circulation d’air, les ascenseurs, l’ambiance musicale et lumineuse, mais aussi les moyens de communication et de présentation de l’information.
L’approche classique de la gestion d’énergie repose sur un asservissement entre capteurs et actionneurs câblé à la main. De telles installations sont chères à concevoir et à installer, et souvent inefficaces parce qu’il est quasi-impossible pour l’architecte ou le technicien d’installation de prévoir avec précision les effets des actionneurs. Des effets temporels peuvent engendrer des instabilités dans les commandes. De plus, un tel système est incapable de s’adapter au vrai usage de l’espace, et est incapable de prédire et d’anticiper les besoins humains.
La Vie de la Famille
Aldrich [Aldrich 03] définit une Maison Intelligente (Smart Home) comme une résidence équipée de technologie informatique qui anticipe et répond aux besoins de ses occupants en essayant de promouvoir leur confort, leur bien-être, leur sécurité, et leur détente grâce à la gestion de la technologie à l’intérieur de la maison et les connexions avec le monde extérieur. [traduction par Mackay et Beaudouin-Lafon 07]. En Interaction Homme-Machine, on convient de distinguer deux paradigmes d’interaction, l’ordinateur-outil et l’ordinateur-partenaire, que Beaudouin-Lafon complète avec la notion d’ordinateur-média. Ces trois paradigmes trouvent leurs homologues dans les services d’intelligence ambiante pour la famille.
Les services-outils répondent à la commande d’une manière prévisible et robuste. Ainsi, nous pouvons commander un bâtiment afin de maintenir un certain confort en présence de l’homme. On peut assurer la sécurité des portes ou l’accès à distance. Le rôle de l’intelligence dans ces services-outils est d’assurer que la commande est exécutée comme prévu malgré les aléas de l’environnement.
Les services-partenaires appliquent leur intelligence à l’interprétation des données et à la collaboration avec l’homme. Ainsi, nous pouvons contacter notre habitat par téléphone pour s’assurer que les enfants sont rentrés et que le dîner sera prêt. Nous pouvons consulter les consignes de notre cuisine sur les produits à acheter. Nous pouvons consulter notre domicile sur le rapport entre confort et coût énergique, et recevoir un conseil fondé sur l’observation de nos habitudes. On peut envisager des services d’interaction affectives pour pallier l’isolement des personnes âgées ou handicapées.
Le service-média permet d’assurer la communication et le loisir. Ce peut être un service de présence qui affiche une représentation simplissime de l’activité d’un proche qui vit à distance. Ce peut être un système d’immersion acoustique qui s’adapte aux déplacements des occupants. Ce peut être également un service de vidéo-téléphonie sensible au contexte et capable de déterminer quand, et par qui, nous pouvons être contactés.
Bâtiment de commerce
Les applications de l’informatique ambiante au commerce peuvent inclure l’assistance aux clients, la gestion des stocks, du personnel et des processus commerciaux. Pour l’assistance au client, l’objectif est semblable à la collecte passive de données pratiquée actuellement dans le commerce électronique. Un système de surveillance est utilisé pour détecter et suivre chaque client dès son arrivée. La collecte passive d’information sur les mouvements et gestes du client permettra de construire une description de ses intérêts, goûts et objectifs afin de lui proposer des offres commerciales ciblées ainsi que faciliter ses actes commerciaux. Dès qu’un produit est sélectionné par un client, son remplacement peut être programmé dans la gestion du stock. La collecte sur toutes les opérations commerciales permet d’évaluer l’efficacité de l’organisation spatiale du lieu commercial (le floorplan), ainsi que l’efficacité des publicités et points de vente. La collecte sur les tendances des clients rend possible l’anticipation des marchés. La gestion du personnel permettrait de détecter des problèmes d’organisation dans les affectations des tâches, ainsi que de minimiser les pertes liées aux vols.
Bureau Intelligent (Smart Office) - à relier au domaine phare « entreprise ouverte » du LIG
Les applications de bureautique concernent les outils pour améliorer l’efficacité du travail individuel, le travail en groupe et la gestion de l’entreprise. Pour le travail individuel, il devient possible de collecter un carnet d’activités permettant à la personne de retrouver facilement trace de ses activités. Il est possible d’aider l’individu dans la gestion de ses tâches, de lui offrir de nouveaux dispositifs et modes d’interaction en matière d’information et de communication, voire estimer sa disponibilité pour le protéger des interruptions. Pour les groupes, l’informatique ambiante peut offrir des outils de collaboration en présentiel et à distance, garder trace des activités, produire automatiquement un relevé des décisions de réunion. En gestion d’entreprise, la collecte d’information peut être exploitée pour modéliser le flux du travail afin d’optimiser son organisation et son rendement. L’autonomie des personnes âgées, handicapées ou fragiles L’informatique ambiante a un rôle sociétal important à jouer dans les services d’assistance à la personne pour le maintien de l’autonomie des personnes fragiles à domicile, pour la rupture de leur isolement, qu’il s’agisse de personnes âgées, de personnes souffrant de déficits cognitifs, de personnes sur le point de devenir fragile ou temporairement handicapées.
Ces services peuvent inclure :
La détection de situations potentiellement dangereuses et déclenchement des moyens palliatifs locaux en plus des secours éventuels.
Le suivi de l’activité pour la santé et la sécurité (l’actimétrie).
Une assistance de confort avec assistance aux activités de la vie quotidienne.
Palliatif à l’isolement : sentiment de présence et de réconfort, rupture du sentiment de se sentir isolé.
Détection de signes avant-coureurs de fragilité.
Certaines concrétisations de cette vision commencent à apparaître. La plupart du temps cependant, les équipements « intelligents » demeurent peu autonomes et coopèrent avec un nombre réduit de dispositifs. Les interactions avec les utilisateurs sont limitées, difficiles à personnaliser, voire inadaptées. Leur aspect « médical » renforce chez la personne le sentiment de fragilité. En l’occurrence, le design d’objet a son rôle à jouer pour améliorer l’acceptabilité de ces dispositifs.
La réalisation de notre vision se heurte à plusieurs problèmes et défis majeurs.
Les problèmes et défis
Nous relevons trois types de problèmes : business, éthique et scientifique.
Business
La plupart des entreprises est à la recherche de services pour lesquels les clients sont prêts à investir sans (trop) compter - ce sont les applications-clé ou « killer applications ». Ces applications sont rares et difficiles à identifier. Citons comme exemple la technologie « Triple Play » qui associe Internet, télévision et téléphonie dans un même boîtier et qui a rallié en quelques années plusieurs millions d’abonnés en France. Citons également la technologie SMS, inventée pour l’usage interne des entreprises de télécommunication (maintenance), qui est devenue de façon inattendue un service phare des téléphones portables.
Pour répondre à ces enjeux, il est nécessaire d’identifier les cas d’usage réellement pertinents pour les occupants des bâtiments intelligents ou bien de déployer des « enabling technologies » ou technologies aisément façonnables par les utilisateurs. Cela implique la mise en place de collaborations larges entre marketeurs, sociologues, utilisateurs, et bien d’autres acteurs. Cela demande également de conduire des expérimentations à grande échelle et en situation réelle pour valider et, le cas échéant, faire évoluer les services fournis aux habitants.
Ethique
Les TIC opèrent en permanence des changements sur la vie des institutions, des entreprises, de la société et des personnes. Il en résulte des questions éthiques importantes qui ne peuvent être négligées que ce soit sous l’angle philosophique, moral ou juridique. Le bâtiment intelligent n’échappe pas à ces questions. Il s’agit notamment de préserver les droits fondamentaux des personnes dans leurs lieux de vie, et tout particulièrement leur dignité, leur liberté et protection. Or, ces valeurs évoluent au rythme croissant des découvertes qui installent des doutes sur les acquis. Par exemple, il y a une dizaine d’années, on se refusait à utiliser les caméras dans les lieux publics.
Pour répondre aux questions éthiques posées par le bâtiment intelligent, il est nécessaire de participer à des comités de réflexion, mais aussi d’avancer en recherche sur le concept de « machine éthique » [Allen 2006]. Le LIG intervient dans le Groupe Interuniversitaire Ethique de la Recherche (GIERE2) de Grenoble sous plusieurs formes : fondation du groupe (implication de J. Coutaz et G. Calvary), formation des étudiants (G. Calvary), membre invité permanent du groupe (J. Coutaz), réflexion (J.-F. Prost). Concernant le deuxième point, une machine éthique doit pouvoir modéliser explicitement des valeurs éthiques et de là, prendre ou d’aider à prendre des décisions éthiques. Si l’on n’est pas capable de développer des machines éthiques, alors il nous faut mettre en question l’autonomie des systèmes. On rejoint ici les défis scientifiques présentés ci-dessous.
Les défis scientifiques
Comme indiqué précédemment, les bâtiments intelligents ont pour vocation de fournir de nouveaux services aux occupants. Nous définissons un service comme une commodité immatérielle apportée à un ou plusieurs êtres humains. Un service dans un bâtiment se concrétise par une aide apportée à l’occupant qui prend la forme d’une information produite ou d’une action réalisée.
La notion de service est apparue récemment dans les sciences informatiques. Dans ce contexte, un service est une entité logicielle capable de fournir une fonction utilisable par un tiers. Ce tiers peut être un logiciel interagissant avec un ou plusieurs êtres humains ou un autre service informatique. Dans ce dernier cas, on parle de service « composite ». La mise en place de services innovants dans le bâtiment soulève des défis scientifiques considérables. Cela demande des collaborations pluridisciplinaires, non seulement au sein de l’informatique et des télécommunications, mais aussi avec d’autres sciences et notamment les sciences sociales, les sciences des matériaux et des arts, le design. Il s’agit en effet de fournir les technologies et les méthodes permettant de définir au sein des bâtiments :
Des services pouvant évoluer dans des environnements hétérogènes, dynamiques, fortement contraints et multi-échelle,
Des services autonomes et maîtrisés,
Des services sûrs et sécurisés,
Des services intelligents,
Des services interagissant avec l’utilisateur de manière adaptée,
Des services respectant des valeurs éthiques.
Des services dans des environnements hétérogènes, dynamiques, contraints et multi-échelle.
Les environnements de calcul, de communication et d’interaction que l’on rencontre dans les bâtiments sont très hétérogènes. Les entités de calcul, souvent issues de l’électronique grand public, reposent sur des caractéristiques propriétaires et sont peu interopérables. Pareillement, on trouve dans les bâtiments des technologies réseau très diverses, allant de l’Internet (TCP/IP) jusqu’aux bus de terrain issus d’organismes de standardisation concurrents (CAN, Lonworks, etc.). Les ressources d’interaction (du mur interactif aux lunettes augmentées) sont très hétérogènes par leurs caractéristiques interactionnelles et les supports logiciels sous-jacents. Cette diversité est due aux spécificités des différents domaines d’applications mais aussi à la rude concurrence entre les différents acteurs présents sur le marché.
Les environnements sont également très dynamiques. Les ressources disponibles évoluent régulièrement. Par exemple, la présence d’un téléphone portable ou d’un assistant électronique dans un bâtiment n’est pas permanente. Les réseaux sont également mis à jour régulièrement. Par exemple, les adresses IP des passerelles au sein d’une usine sont régulièrement modifiées, tout comme les adresses des terminaux mobiles au cours de leurs déplacements. Enfin, les besoins des occupants évoluent en fonction de leurs activités.
Ces environnements se caractérisent aussi par un nombre important de ressources (de calcul, de communication et d’interaction, de capteurs et d’actionneurs) à gérer. Ceci est aggravé par le fait que les ressources à considérer ne sont pas toujours fiables et ne se limitent pas à un seul bâtiment mais concernent souvent plusieurs sites. En effet, certains services sont fournis simultanément à un ensemble de bâtiments. C’est le cas, par exemple, des services de surveillance au domicile.
Il en résulte des environnements d’une grande complexité qui posent sous un jour nouveau les questions de développement, de déploiement et de maintenance des services et de support d’exécution.
Des services autonomes et maîtrisés
Les services innovants fournis par les bâtiments intelligents doivent, dans une certaine mesure, disparaître. Les occupants entendent bénéficier de services sans pour autant interagir continuellement et directement avec eux. Les services devront s’adapter par eux-mêmes à l’hétérogénéité de l’environnement et aux conditions changeantes. Des capacités d’autonomie sont ainsi nécessaires.
Des services sûrs et sécurisés
Les services aux occupants devront respecter un ensemble d’exigences dites non fonctionnelles incluant la disponibilité, la sécurité ou encore la sûreté. Ces deux dernières sont fondamentales. Elles représentent l’un des freins majeurs à l’adoption de services : si un service ne peut garantir sa parfaite sûreté, il ne saurait être installé dans un environnement humain.
Des services intelligents
Pour être considérés comme intelligents, les services doivent être incarnés, situés et autonomiques. Être incarné ("embodied" en Anglais) impose que les services soient fondés sur des capacités sensori-motrices. De tels services existent pour agir en sorte de maintenir un système dans un état donné. Les actions peuvent être physiques (en gestion d’énergie, action sur la lumière, environnement acoustique ou autres propriétés) ou de nature communicante (comme pour les systèmes de logistique, de surveillance ou de conseil). Dans tous les cas, leurs actions sont commandées et contrôlées par des consignes en rétroaction avec les capteurs.
Être situé impose que les services reposent sur des modèles de situations. De tels modèles peuvent décrire la composition de l’espace dans le bâtiment avec une description de sa topologie et sa fonction. Les modèles d’activités peuvent décrire les acteurs dans l’environnement avec leurs actions, leurs interactions et leurs objectifs. Les modèles de situation sociale permettent d’identifier les rôles sociaux des acteurs et ainsi de mieux anticiper et adapter les services en évitant les ruptures.
Être autonomique assure qu’un service est capable de maintenir ses propres fonctionnalités. Des capacités autonomiques peuvent inclure des capacités d’auto-surveillance, d’auto-configuration, d’auto-réglage, d’auto-correction et d’auto-description. De telles capacités assurent la robustesse des services en réponse aux aléas des conditions d’opération.
Dans cette perspective, l’intelligence n’est pas une propriété intrinsèque à un système, mais une description caractérisant ses capacités d’agir dans l’intérêt de l’homme.
Des services interagissant avec l’utilisateur de manière adaptée
Interagir avec l’utilisateur de manière adaptée signifie que la nature de l’interaction entre les services et l’utilisateur dépend étroitement : 1) des activités et objectifs des occupants (locaux ou distants), 2) de leurs capacités sensori-motrices et cognitives, 3) de la disponibilité des ressources d’interaction du lieu de vie. Une interaction adaptée doit remplir plusieurs missions :
Informer sans surcharger : au-delà d’un contenu informationnel situé, l’utilisateur doit savoir quels services sont à l’écoute et comment s’adresser à eux,
Pratiquer un bon équilibre entre interaction implicite et interaction explicite, c.-à-d. entre autonomie et maîtrise humaine : assurer les tâches assignées avec la qualité attendue, mais laisser à l’utilisateur la possibilité d’inspecter et de contrôler, faire évoluer les services facilement, voire construire de nouveaux assemblages à la manière d’un Mécano (l’utilisateur ne doit plus être limité dans sa créativité),
Solliciter l’utilisateur de manière opportune : protéger l’utilisateur contre les dérangements intempestifs par une technologie apaisante et apaisée (« calm technology ») ,
Remodeler l’interface utilisateur tout en préservant ses qualités ergonomiques : changer de modalité d’interaction, migrer ou décider d’une nouvelle distribution dans le lieu de vie en exploitant au mieux les informations contextuelles.
Les services respectant des valeurs éthiques
Cette question dépasse la vue classique de la perte de contrôle des machines par l’humain. Respecter des valeurs éthiques signifie que le bâtiment doit être en mesure de modéliser les valeurs de ses occupants en sorte de prendre les « bonnes » décisions en cas de conflits. Actuellement, nous ne savons pas spécifier un comportement moral. L’approche simpliste consisterait à considérer les valeurs éthiques comme des contraintes supplémentaires que le bâtiment devrait satisfaire comme il en va pour toute contrainte. Encore faut-il que ces contraintes soient identifiées. Elles peuvent être très spécifiques (réduire la consommation d’énergie) ou très abstraites (ne jamais blesser un humain ou réduire l’impact de pollution sur l’environnement). Dans le second cas, l’identification demande une appréciation approfondie des connaissances qu’il convient d’intégrer aux services du bâtiment ainsi que les mécanismes d’apprentissage et d’adaptation s’y afférant.